- Le tourisme médical russe et le système de santé français : une demande et
une offre qui ne se rencontrent pas
Chirurgien digestif à Angers et membre du conseil d'administration d'une des dix plus grandes cliniques françaises, Pierre-Olivier Betton fait partie des rares Français qui s'intéressent au
tourisme médical et plus particulièrement au tourisme médical russe. Il a accepté de nous faire part de ses réflexions sur ce sujet et nous l'en remercions.
Pour introduire cette mini-analyse, intéressons-nous tout d'abord à la demande. La demande, ce sont tous ces patients russes qui préfèrent se faire soigner dans un établissement
de soin à l'étranger plutôt qu'en Russie, dans l'espoir de recevoir un meilleur traitement ou de subir une meilleure intervention. Certains d'entre eux sont assistés par des "agences de transit
médical". Dans ce cas, les médecins, employés par ces agences, envoient les dossiers médicaux aux cliniques partenaires, reçoivent en retour des devis "all inclusive" (forfait clinique,
honoraires du chirurgiens, des anesthésistes, ... coûts des examens complémentaires, prises de sang, ... et, également, 30% de supplément en cas de complication et qui sont restitués à la sortie
du patient s'ils n'ont pas été utilisés) qu'ils présenteront ensuite au client qui n'aura plus qu'à choisir entre Lausanne, Munich ou
Ankara pour se faire opérer. Dans un deuxième temps, les juristes de l'agence prennent le relai pour gérer l'aspect administratif, tout
aussi important dans le cadre d'opérations à l'étranger. La demande en Russie semble donc se développer et s'organiser ...
Nombreux sont les pays qui s'intéressent, depuis longtemps ou plus récemment, à ce colossal gisement d'activité, organisent et développent leur offre.
L'Allemagne, la Suisse, Israël, la Turquie, la Jordanie ... et plusieurs pays asiatiques accueillent les patients russes.
Mais qu'en est-il de la France?
En France, ce sujet sensible l'est encore plus qu'ailleurs.
Essayons de comprendre les raisons de cette grande prudence que ce soit de la part des hautes instances de la santé ou des médecins eux-mêmes.
Ce sujet est sensible, peut-être, parce que les médecins n'ont ni besoin, ni envie de développer cette activité. Leurs patients sont
solvables grâce au système de soins français. De plus, ils sont méfiants vis à vis de l'aspect mercantile de ce nouveau business. Car il s'agit effectivement d'une source de revenus
incontestables. Opérer un patient qui ne dépend pas du système de sécurité social français, laisse le praticien libre de fixer les honoraires de son choix.
Peut-être, pour des raisons politiques, la sécurité sociale reposant sur l'égalité d'accès aux soins. La France ne délivre pas de visas
sanitaires, comme le font l'Allemagne et la Suisse. Ainsi, si un patient peut être opéré d'urgence lors d'un voyage en France, il n'est pas pris en charge pas le système de santé français dans le
cas d'opérations organisées à l'avance. La sécurité sociale voulant se protéger du risque d'impayés, les patients achètent des assurances privées et joignent à leur demande de visa une invitation
pour raison médicale.
Peut-être parce que pour développer un service spécifique capable d'accueillir les patients russes, cela nécessite que plusieurs médecins croient au projet et qu'ils trouvent du personnel
russophone ou disposent de traducteurs à domicile. Or rares étant les médecins intéressés et les Français russophones, les Russes se dirigent vers d'autres destinations plus
accueillantes.
Peut-être parce que l'Ordre des médecins interdit de
faire de la publicité et qu'il faudrait donc trouver d'autres filières de "recrutement" de patients.
Peut-être parce que la santé ne peut pas se contenter d'approximatif et que l'on
ne peut pas faire venir n'importe quel patient. Si le dossier n'est pas bien ficelé, si le diagnostic a été mal réalisé, si on découvre une autre pathologie, si le risque de décès est trop fort
... l'opération pourra être annulée. Le médecin français doit avoir confiance dans la personne qu'il reçoit mais également dans la personne qui lui envoie le patient.
Alors pourquoi souhaitons-nous que le tourisme médical russe se développe en France?
Parce qu'en tant que Français, nous sommes fiers de la qualité et de l'éthique respectueuse de notre médecine et que nous voudrions que plus de patients russes puissent en
profiter.
Et, parce qu'en tant qu'acteurs du tourisme, nous pensons automatiquement à l'accroissement d'activité que cela représenterait pour l'hôtellerie française, pour l'industrie du luxe ... surtout si
on tient compte du fait qu'un patient vient souvent accompagné et aime se changer les idées lors d'excursions touristiques...